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buts et priorités de l'Association

Bachir, 19 ans

Lorsque j’étais un jeune garçon vivant dans les rues ensablées au Niger et que je rêvais de l’avenir, je pensais que réussir sa vie, c’était être Blanc… je regardais la télévision dans une petite boutique à Zinder et je me disais que j’appartenais à un autre monde, un monde qui n’existait pas, que la vraie vie, c’était de l’autre côté, au pays des Blancs….

Je suis né, il y a presque 20 ans, en plein milieu du Sahel, au centre de la République du Niger. Autour de nous vivaient quelques familles de Touaregs, plus ou moins en permanence. Notre cabane en iglou était faite de nattes de paille. A l’intérieur, nous accrochions tout ce que nous possédions à une patère : une couverture en laine, quelques chiffons, une moustiquaire. Cette habitation protégeait du soleil, c’est tout. Pourtant, c’était notre foyer, notre vie…
Mon père était souvent absent, à parcourir le nord du Sahel avec un troupeau de chèvres rousses qu’il promenait du matin au soir, pour gagner un peu d’argent. Les chèvres étaient aussi maigres et affamées que nous. Les années de sécheresse se sont succédé au Niger et cela devenait difficile pour tout le monde…
Avec ma mère et mes deux frères ainés, nous partions tous les jours loin ramasser des herbes et des racines que nous pouvions manger. Cela nous provoquait des diarrhées mais au moins notre faim était calmée pour un temps.

Vers mes 5 ans, je suis tombé malade. Nous n’avions pas d’argent pour nous rendre dans un dispensaire et acheter des médicaments était hors de question. Il ne restait qu’à souffrir. La petite infection sur mon cuir chevelu s’est dégradée en mycose sur toute ma tête, au fil des années…
Plus tard, j’ai compris que pour essayer de me sauver la vie, ma mère m’avait emmené dans la région de Zinder, où elle m’avait lâché la main et s’était enfuie hors de ma vue… J’étais livré à moi-même dans cette ville que je ne connaissais pas et il fallait que je m’en sorte…

Alors j’ai survécu, me mettant à l’abri et trouvant de l’eau potable et un peu de mil ou de bouillie comme je le pouvais, au jour le jour et au gré de la charité de la population. Les gens avaient pitié de moi, ils me donnaient volontiers un peu à manger et à boire lorsque je faisais mes tournées, toujours dans les mêmes endroits. Les périodes de saisons chaudes étaient les pires pour moi. Les poussières de sable et le soleil a passé 50° me brûlaient mon crâne à vif. La chair était purulente et je passais d’infection en surinfection…. Mâcher et parler ont finalement fini par me faire mal aussi. Je ne dormais plus, impossible de poser ma tête contre un élément dur ou mou.

J’avais tant demandé de l’aide dans mon cœur et mon âme, qu’un jour j’ai été exaucé.

Je voyais passer une femme blanche, régulièrement, dans les ruelles de Zinder, qui étaient depuis 5 ans déjà mon foyer. Au début, je me cachais, je ne voulais pas qu’on me regarde, qu’on m’observe. Mais elle m’avait déjà aperçu, elle s’était renseignée sur moi et voulait m’aider à guérir.
Je souffrais trop, j’ai accepté d’être pris en charge pour un traitement médical et d’être hébergé dans une famille d’accueil à Zinder.

En mai 2011, je suis parti dans un bus pour le Bénin. J’ai été hospitalisé chez des Sœurs pour deux greffes de la peau sur mon cuir chevelu. Le traitement était douloureux et la convalescence très longue, pour un jeune de la rue qui a l’habitude de bouger tout le temps, comme moi.
On a essayé de m’apprendre le français et de me scolariser, mais je n’étais pas motivé, je voulais retrouver ma rue au Niger le plus vite possible.

De retour totalement guéri, j’avais retrouvé ma force et je prenais enfin du poids. Tout m’émerveillait, mais j’avais surtout besoin de prouver que je pouvais travailler comme un vrai homme.
J’ai commencé à cultiver des tomates et des salades dans un petit coin de sable. Il me fallait aller chercher de l’eau très loin, mais je voulais réussir et gagner de l’argent qui pourrait enfin changer mes lendemains. Les récoltes étaient bonnes et je vendais bien mes légumes au marché local. Je me suis ensuite mis à disposition des gens au marché avec ma brouette, qui me permettait de gagner encore un peu plus d’argent.

Depuis l’été 2014, je suis fiancé à une jeune fille qui m’aime comme je suis, avec mes cicatrices sur la tête. Je prépare ma dote pour pouvoir la marier prochainement et élever 2-3 enfants avec elle seulement.

Je n’ai plus jamais revu ma mère et ma famille. Ils sont partis de chez eux il y a longtemps et je ne sais pas où leur exode les a menés.

 

Nagode !

Bachir, 19 ans
Isabelle M., Niger Zinder, 30 janvier 2015


 
   
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